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Attaque du Hamas en Israël: «Les familles de disparus vivent un cauchemar»

La semaine dernière, une délégation d’élus Renaissance-LR, issue du groupe d’amitié France-Israël, s’est rendue dans le pays et a pu visiter le kibboutz de Kfar Aza, un des lieux attaqués par le Hamas le 7 octobre. Benjamin Haddad, député de Paris (Renaissance), nous raconte ce déplacement exceptionnel.

Propos recueillis par KAHINA SEKKAI Publié le 25/10/2023


Comment est né ce déplacement ?

Benjamin Haddad. L’objectif très simple était un message de solidarité, de soutien avec la population israélienne après les attentats, les attaques atroces du 7 octobre. Une première journée de visite du sud d'Israël qui a été le plus touché par par l'attaque, dont le kibboutz de Kfar Aza et la ville de Sderot, qui a été attaquée à quelques kilomètres de Gaza, mais aussi la base militaire près de Tel-Aviv où sont aujourd'hui entreposés les corps des victimes pas encore identifiées, qui étaient plus de 300 à ce moment, dans des chambres froides. Nous avons ensuite vécu une rencontre très éprouvante avec les familles des Français disparus. Le terme « disparus » est utilisé pour désigner ceux que l’on soupçonne d’être otages, comme la Franco-Israélienne Mia Shem, dont une vidéo a été publiée par le Hamas au lendemain de notre rencontre avec ses parents, ou ceux dont le corps n’a pas encore été identifié. Pendant notre rencontre, un couple a été tiré de la réunion par un appel de Tsahal qui avait identifié leur fille comme faisant partie des corps. Parmi les Français avec lesquels nous avons échangé, un père avait parlé avec énormément d'émotion de sa fille, nous racontant qu’elle était partie danser dans le désert et qu’elle était portée disparue. Il ne savait pas si elle était otage. Il nous avait confié qu’il espérait qu’elle le soit, parce qu'on peut se remettre de tout, de blessures, de traumatismes psychologiques… mais le lendemain de la rencontre, sa fille a été identifiée parmi les victimes.


Vous avez notamment visité le kibboutz de Kfar Aza, attaqué au petit matin du 7 octobre par le Hamas… 

C'est un enfer. On a vu des rues entières complètement dévastées, des traces de sang, une odeur de mort très forte. C'est quelque chose qui nous a tous beaucoup marqués. C'est vraiment une vision d'horreur. Il faut rappeler le contexte de ce kibboutz un peu atypique, situé à deux kilomètres de Gaza. Le kibboutz de 700 personnes, qui déplore 69 morts, est aujourd'hui complètement vidé. C'est un des derniers kibboutz survivants de l'utopie pacifiste de la gauche israélienne des années 1950, des petites communautés agricoles qui vivaient dans une logique de paix avec les Palestiniens. Beaucoup venaient y travailler tous les jours. On a vu des panneaux avec des messages pacifistes. Ces personnes massacrées n’étaient pas des colons, des extrémistes, des soldats, mais bien des civils. Il y a eu des atrocités, des témoignages de femmes enceintes éventrées, de bébés décapités, des corps brûlés, des maisons incendiées ou des gens qui ont été ligotés entre eux et brûlés ainsi. C’est pour cela qu’il y avait, à ce moment, 327 corps non identifiés : beaucoup ont été brûlés au-delà d'un point d'identification rapide. Parfois, des familles entières ont été décimées et il n'y a plus personne pour réclamer les corps. Cela m’a fait penser à la Shoah. Le terme de pogrom est à mes yeux le plus approprié : c'est un massacre avec une volonté de tuer des juifs, de violer, avec une barbarie absolument ignoble.


Dans quel état d’esprit étaient les familles de disparus que vous avez rencontrés? 

Ces gens vivent un cauchemar, leur vie a basculé du jour au lendemain. Il y a une femme dont l'ex-mari était au kibboutz avec leurs deux enfants de 12 et 13 ans et sa mère de 80 ans, tous ont disparu. Ces gens ont vu disparaître leurs familles entières. On a tous été vraiment frappés par leur dignité, leur courage. Nous sommes venus les écouter, c'était une phase où tout le monde pleurait. C'était vraiment une réunion très dure, très digne et même très éprouvante. Nous sommes venus en tant que parlementaires français pour leur faire passer un message de solidarité. Leur dire que l'on n'abandonne pas nos compatriotes, qu’on les soutient. Ils sont tous en contact avec le consulat de France. Il existe des efforts diplomatiques assez intenses, même si on reste discret sur ce conflit, parce qu'il faut être assez prudent. C’était important d’aller sur place, de témoigner parce que ce qui m'inquiète le plus est la désinformation. On entre dans une guerre des images, une guerre de propagande. Et je tenais vraiment à aller sur le terrain parce que je veux voir, entendre et pouvoir témoigner. Quand on voit les débats abjects sur la question de savoir combien de bébés avaient été décapités, tués, ici ou là, la rapidité avec laquelle on est allé sur des conclusions sur l'hôpital à Gaza alors que selon les renseignements occidentaux et américains, il s’agirait d’un tir du Jihad islamique tombé sur le parking de l’hôpital… Il faut rappeler qu’aujourd'hui, la bande de Gaza est un système totalitaire contrôlé par le Hamas. Il y a des victimes civiles, bien sûr, mais tous les chiffres qu'on entend aujourd'hui sont communiqués par le Hamas, le même groupe qui a commis des actes absolument barbares. Donc il faut aussi avoir une prudence dans l'expression, la nécessité de contextualiser.


Rapidement après l’attaque du Hamas, de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer le gouvernement et la stratégie de Benjamin Nétanyahou. Est-ce un discours que vous avez entendu lors de ce déplacement ?

 Il y a plusieurs choses, la population israélienne en général, puis les familles des otages ou des disparus, qui sont dans un désarroi total et dont la priorité est de retrouver leurs proches à tout prix. C'est une équation extraordinairement compliquée pour le gouvernement israélien qui, d'un côté, a comme objectif de détruire le Hamas à Gaza, mais aussi de faire libérer ces otages. Certains demandent au gouvernement de ne pas lancer l'offensive terrestre, et voient bien que le Hamas utilise non seulement la population palestinienne mais aussi les otages israéliens comme des boucliers humains. Mais Israël a toujours eu pour doctrine de ne laisser aucun otage. On se rappelle tous de Gilad Shalit, ce soldat franco-israélien qui avait été libéré contre 1000 prisonniers palestiniens après plus de cinq ans de détention. Dans la situation actuelle, un tel échange est impossible. Du côté de la population israélienne plus généralement, quelque chose m'a marqué : que ce soit les militaires ou à Sdérot, où on a rencontré des civils de la municipalité qui nous ont montré les lieux attaqués, tous nous ont dit qu’il y avait eu une faute. C'est une faille de sécurité : il y a 1400 morts dont plus de 1000 civils. Rapporté à la population de la France, cela représenterait 10 000 morts. Il n'y a pas une famille qui n'est pas affectée d'une façon ou d'une autre. Ceux qui ne sont pas directement concernés ont des enfants qui sont mobilisés et qui partent à l'action. Mais Israël est une démocratie, il y aura une commission d'enquête parlementaire comme il y a eu après la guerre du Kippour en 73, qui avait mis fin à la carrière de Golda Meir. Même si nous sommes en temps de guerre, je pense que pour les Israéliens, ce n’est pas encore le moment : ils sont unis face au Hamas. Et au fond, que ce soit Nétanyahou ou un dirigeant de gauche, la réaction aurait été une réaction de fermeté absolue. 


Depuis le début de la contre-offensive israélienne, l'inquiétude est grande d'une utilisation disproportionnée de la force par l'armée israélienne… 

Il faut reconnaître aux Israéliens qu'ils ont attendu et n’ont pas lancé l'offensive terrestre, ils demandent aux civils palestiniens de quitter le nord de la bande de Gaza vers le Sud pour pouvoir mener cette opération. Le but est de décapiter le Hamas, ses infrastructures, notamment les tunnels, les caches d'armes qui sont dans le nord de la bande de Gaza. Le message de la France est qu’Israël doit se défendre, mais dans le respect du droit international et humanitaire. C'est pour cela qu'on a, avec nos partenaires comme les États-Unis, beaucoup œuvré, notamment pour que le couloir humanitaire de Rafah soit rouvert et utilisé. Il faut aussi rappeler que le responsable de cette situation est le Hamas, qui prend la population en otage. Les peuples, les civils qui voulaient partir se sont vu retirer leurs clés de voiture. Donc il faut être extrêmement clair sur les responsabilités, ce qui n'exonère pas d'un devoir d'humanité vis-à-vis de ces populations civiles qui sont otages du Hamas et donc, de tout faire pour pouvoir les préserver.


Comment espérer la paix après une telle situation?

 J'ai toujours cru à la seule option : la solution à deux États, mais je ne crois plus vraiment à la paix avec des embrassades comme on a pu voir à Oslo. Ce qui s'est passé au sud d'Israël, ce n'est pas le conflit israélo-palestinien, ce n'est pas une question territoriale. Et à cet égard, il n'y a pas de solution politique possible avec le Hamas à ce jour. Mais je crois à cette séparation, comme l’avait écrit dans son livre Amos Oz : « Aidez-nous à divorcer ! » C’est la seule option possible à terme pour les deux populations, dans l'autodétermination des Palestiniens, dans la sécurité des Israéliens. Et qui sait, peut être qu'après on peut imaginer une accélération. Il suffit de prendre l'exemple d’Yitzhak Rabin. Il avait été rappelé au poste de ministre de la Défense en 1987, justement parce que c'était un dur, pour réprimer la première Intifada. Et c'est lui qui a ensuite signé les accords d'Oslo. La société israélienne a une capacité de rebond et elle pourra nous surprendre. Les Israéliens veulent la paix, mais elle ne peut pas avoir lieu avec le Hamas. Je pense aussi qu'il y a un problème de leadership politique aussi du côté de l'Autorité palestinienne. Il faudra un renouvellement générationnel : il y a un dirigeant qui a 88 ans, qui a récemment commis des dérapages antisémites, qui a mis beaucoup de temps à condamner ce qui s'est passé, qui est au pouvoir depuis plus de 20 ans alors qu'il avait été élu pour un mandat de quatre ou cinq ans. Il faudra retrouver des interlocuteurs. Les États-Unis et l'Europe ont leur rôle à jouer pour accompagner la région. Il faut d'abord soutenir, aider les Israéliens à vaincre le Hamas, dans le respect des exigences humanitaires. Et après, il faudra investir dans la région et dans cette relation entre Israéliens et Palestiniens.


 À chaque résurgence du conflit israélo-palestinien, il y a toujours une résonance en France. Cette fois, nous avons vu un vrai schisme politique avec le refus obstiné de Jean-Luc Mélenchon et certains membres de la France insoumise de ne pas qualifier le Hamas de groupe terroriste. Comment analyser cette fracture politique ?

 Je veux d’abord saluer la réaction du gouvernement, immédiate et très claire, pour lutter contre l'antisémitisme et protéger les synagogues, les lieux de culte, avec le déploiement de 10 000 policiers et gendarmes et le signalement d’organisations comme les Indigènes de la République ou Palestine Vaincra pour apologie du terrorisme par le ministre de l'Intérieur. Ça n'a pas toujours été le cas. Je pense notamment à la seconde Intifada, avec une forme de déni des autorités sur cet antisémitisme qui montait. Après, il y a une dimension politique. La plupart des forces républicaines ont été très claires dans leur condamnation du terrorisme, dans leur soutien à Israël, dans le rappel des positions historiques de la France, c'est-à-dire la solution à deux États. L’appel à éviter l'escalade régionale est un objectif de la France. Mais on a vu chez une partie de la gauche, notamment à la France insoumise, une incapacité totale à nommer les choses, à dénoncer le terrorisme pour ce qu'il est, à faire preuve de clarté morale. Je ne sais pas si on est dans le clientélisme ou dans l'idéologie. Je trouve que c'est une faillite morale totale qui pose vraiment des questions sur l'appartenance de ce mouvement à l'arc républicain.